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Qui n’a pas en mémoire le Pierre François Lacenaire incarné par Marcel Herrand, aux côtés d’Arletty, Pierre Brasseur et Jean-Louis Barrault dans ce film mythique de Jacques Prévert et Marcel Carné : « Les Enfants du Paradis ? »

Anti-héros du plus beau film du cinéma français, Pierre-François Lacenaire fut surtout une véritable énigme humaine, un « monstre » moral et social aux yeux de ses contemporains ! Condamné à la peine capitale en novembre 1835  pour avoir commis plus de 16 crimes, il est incarcéré à la Conciergerie durant les mois qui précèderont son exécution, en janvier 1836. C’est alors qu’il deviendra un phénomène, une attraction pour tous ceux qui souhaitèrent l’approcher, le côtoyer, l’interroger. Car Lacenaire n’aura de cesse, pendant toute la période de son emprisonnement, d’écrire ses mémoires, des poésies et des chansons. Son rendez-vous imminent avec la guillotine l’inspirera fortement : « La lucarne » (surnom de la guillotine) sera sa muse.

Son œuvre fascinera par la suite beaucoup d’écrivains et d’intellectuels, jusqu’à Michel Foucault et Roland Barthes ; mais c’est sans doute Flaubert qui lui rendra le plus bel hommage : « Lacenaire faisait de la philosophie aussi à sa manière(…) quelle leçon il donnait à la morale, comme il la fessait en public… ».

Chansons et poésies du monstre Lacenaire sont  les « fleurs du mal » de ce disque que nous avons réalisé. Au fur et à mesure de la redécouverte de son répertoire, nous avons pris conscience que  Lacenaire était un incroyable écrivain ;  puissant dans sa verve et inventif dans ses rêveries. À l’égal de Byron, il nous plonge dans un univers fantasque et romantique. Avec sa « Sylphide » ou ses « Rêves » d’un condamné, le poète assassin, défie la mort et la guillotine ; il récite  son dernier chant comme le cygne de Lamartine. Ses contemporains diront de lui qu’il « portait une lyre et un poignard », qu’il chantait comme le poète « Chénier » et assassinait comme le bandit « Cartouche ».

La « Complainte de Lacenaire » est le testament d’un enfant du « Boulevard du crime », comme la « Ballade des pendus » fut celui de Villon, un autre poète-assassin. Le bandit sait chanter ; il connaît à la fois ses classiques, tels que « l’ivrogne et le pénitent » ou « Jésus Christ s’habille en pauvre », répertoire vocal du « Romancero Français » redécouvert par le poète Nerval ; mais aussi l’œuvre du plus grand chansonnier du XIXème Siècle, Béranger, qu’il tente de convertir à sa cause littéraire.

Artiste incompris, condamné par la société ? Ou bien « Croquemitaine » dégénéré, pervers et dangereux pour les hommes ? Nous n’oserions intenter un procès à ce poète déchu, nous n’oserions redorer le blason d’un criminel affirmé. Mais nous avons pris un plaisir inégalé à chanter l’aventure de ce personnage ambigu pour notre bonne morale.

Pour nous accompagner dans cette aventure, nous avons demandé au dessinateur Maël d’illustrer l’univers chansonnier de ce demi-frère de Maldoror. Nous voulions que ses dessins s’inscrivent dans la Légende de Lacenaire. Entre Goya et Daumier, la plume de Maël nous propose un trait foudroyant et dramatique…Lacenaire sera à nouveau croqué, sans caricature, avec une justesse qui renforce l’énigme de notre poète-assassin.