À la différence de la musique d’Europe occidentale qui vécut des ruptures radicales au cours du XXe siècle, la musique russe progressa plus régulièrement. À cela certes des raisons d’esthétique générale et de politique. Longtemps les compositeurs russes se sentirent redevables de l’héritage occidental et marqués par de grandes figures. Chopin et Liszt imprégnèrent ainsi durablement la musique pour piano, bien après leur disparition. Après les années 1920, le dirigisme soviétique détourna autoritairement les compositeurs de toute radicalité à l’occidentale. Mais au-delà de ces raisons objectives, on peut trouver chez de nombreux compositeurs russes un rapport différent au temps et à la beauté, comme si, pour eux, il s’agissait moins de faire du nouveau que d’approfondir le pouvoir expressif de la musique, toute innovation du langage étant soumise à cet impératif, exprimer la personnalité, l’âme profonde du compositeur.
De César Cui à Kirill Zaborov, près d’un siècle et demi s’est écoulé, mais, au-delà des évolutions du langage, on doit noter une constante de la musique russe, la recherche perpétuelle d’une synthèse entre la rigueur de la forme et l’expressivité. C’est la marque d’une tradition qui donne à la musique russe son unité et, en quelque sorte, son éternité.