Ce disque est dédié à la famille : celle de mon enfance, celle que j’ai construite et celle qui s’est imposée en toute évidence.
Ce projet est un souvenir d’enfance. À l’ouest du monde en Californie, dans un univers parallèle sans école et toujours ensoleillé, c’est le son de Haarlem qui a été le virage le plus marquant de ma vie. Pour mes treize ans, mes parents m’ont offert les deux livres du Clavier bien tempéré de Johann Sebastian Bach, mon fidèle compagnon de route. En cherchant un enregistrement qui pourrait accompagner ces pages encore nouvelles pour moi, je suis tombée presque par hasard sur un album enregistré au Doopsgezinde Kerk à Haarlem : le premier livre du Clavier bien tempéré de Pierre Hantaï. Le son – ce son si particulier et reconnaissable des albums de mes prédécesseurs, Gustav Leonhardt & Pierre Hantaï, entre autres – m’a interpellée, m’a fait rêver d’un clavecin sans limites, un clavecin dynamique. Ce son, je l’ai cherché sans répit, en traversant des continents et des océans et en me remettant sans cesse en question par un travail acharné.
Ce rêve sonore est donc en quelque sorte l’histoire sonore qui rythme ma vie. Et dans le temps arrêté de l’année 2020, j’ai eu l’envie de revisiter ces amours d’enfance, de me replonger dans le Bach qui a été là tous les matins sur mon pupitre et, pour moi le plus grand de tous les maîtres. Le besoin d’être en contact avec le plus profond, le plus naïf, le plus fondamental de soi me paraît essentiel, face à un monde déchiré et cataclysmique. C’est le propre des rêves d’enfance de se projeter dans un monde idéal au sein duquel on protège sa sensibilité fragile, parfois gommée par le bruit de la vie adulte.
Il était d’une évidence totale qu’il fallait construire ce disque selon les idéaux artistiques auxquels je tiens. Un récital, et non pas une intégrale, puisque je cherche avant tout l’intimité du partage avec mon auditeur. D’où le choix libre de sortir de leur cadre habituel des morceaux choyés et les proposer comme cadeau à ceux qui écoutent. Emportée par l’envie de souligner certaines œuvres, ce projet s’est transformé en double-disque en miroir, avec un récital distinct de chaque côté, à écouter autant séparément qu’ensemble. Laissez-vous guider par votre instinct, et allez goûter à cette musique comme vous le sentez.Haarlem s’est imposé de lui-même – en quel autre lieu réaliser un tel projet ? Ce fût l’expérience la plus belle et la plus enrichissante de ma vie musicale. Enfin vivre Haarlem live, entendre mon jeu se transformer en temps réel en réaction à cette acoustique brillante et résonnante, et de me sentir chez moi tout en rendant hommage à ces grands pionniers qui ont déblayé le chemin pour moi…ces longues journées de quinze heures et ces deux immenses programmes de la musique la plus aboutie qu’elle soit, resteront gravés pour toujours dans mes souvenirs. Pendant une semaine hors du monde, j’ai pu vivre un rêve d’enfant. Je vous l’offre avec le plus grand amour pour ce compositeur et sa musique, pour ce lieu et ses grands artistes, et pour vous qui écoutez, puisque vous êtes notre raison d’exister.