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Composée au cours des dix dernières années de sa vie, l’Art de la fugue est constituée de 14 fugues (ou contrepoints) et de 4 canons sur un seul sujet. Ce sera sa dernière et la plus accomplie de ses explorations dans le champ de la composition contrapuntique. Bien que déjà considéré par ses contemporains comme un maître de la fugue, Bach a cherché à repousser les limites de sa maîtrise en employant un sujet unique, en ré mineur pour créer son apothéose contrapuntique. Chaque fugue se complexifie progressivement et le sujet principal subissant de nombreuses transformations tend à démontrer toutes les possibilités de la composition contrapuntique – inversion du thème, altération rythmique, composition en miroir, de nombreux styles nationaux, augmentation et diminution. De nombreux thèmes sont introduits dans la seconde partie de l’œuvre, tous dérivant du sujet original.
La dernière fugue que Bach ait jamais écrite et celle qui termine l’Art de la Fugue, Contrapunctus XIV, est incomplète. Le troisième sujet qu’il y introduit est son propre nom B-A-C-H qui correspond à Si bémol, La, Do et Si (H en allemand). Tel un peintre signant son chef-d’œuvre, c’est ici la signature musicale de Bach. Bien que sa santé défaillante ait figuré parmi les raisons expliquant son inachèvement, un certain nombre d’éminents chercheurs pensent à présent que la fin de cette œuvre a été perdue ou alors qu’elle n’a jamais censée être achevée, comme si Bach lançait un défi à résoudre à l’exécutant. Pourtant, figure ici une puissante métaphore dans cette rupture captivante, après 80 minutes d’un accomplissement sans précédent d’une beauté et d’une complexité divine, brusquement, tout est terminé, l’œuvre finale de Bach, comme la vie, se termine sans résolution.
Bach a écrit cette pièce sur quatre portées plutôt que deux utilisées habituellement pour ses œuvres pour clavier. Il n’indique pas expressément que cette œuvre est destinée au clavier (bien que ce soit précisé par son fils C. P. E. Bach qui publie la première édition de l’œuvre un an après la mort de son père). Il existait également une solide tradition séculaire consistant à écrire un contrepoint pour clavier sous forme de conducteur pour des raisons de lisibilité, néanmoins certains érudits pensent que l’Art de la Fugue était censée laisser ouvertes plusieurs options d’orchestration. Bien que j’adhère à l’opinion de mon Maître Gustav Leonhardt, qu’il s’agit bien ici d’une œuvre pour clavier, les œuvres de Bach en général, et plus que celles de tout autre compositeur, peuvent presque toujours être transcrites avec succès grâce à leur intégrité et leur universalité. Un quatuor à cordes, un piano moderne ou tout autre combinaison d’instruments solistes peuvent leur rendre justice d’une manière très convaincante.
Tous les instruments possèdent leur propre qualité, et la manière dans laquelle ils accentuent les complexités de l’écriture polyphonique diffère. Là où un pianiste ou un violoniste peut simplement jouer le thème d’une voix en particulier plus fort pour le mettre en valeur, le clavecin, incapable de le faire, utilise l’articulation, le touché, le tempo et le rythme pour créer une profondeur dimensionnelle. Bien que plus difficile à atteindre, cette « magnifique contrainte », le déploiement de ces techniques afin d’explorer expressivité et nuance, est tout.
Kenneth Weiss, Montauk, New York, juin 2021