Le nom de « Rolando di Lassus » qui figure sur la page de titre reflète déjà la dimension européenne d’un natif du Hainaut que ses parents, de langue française, devaient avoir prénommé Roland, mais que son séjour italien, entre sa treizième et sa vingt-troisième année, avait fait nommer Orlando di Lasso, appellation qu’il devait conserver toute sa vie, y compris dans cette Bavière où il devait bientôt passer le reste de son existence.
Albert V dit le Magnifique, héritier de la lignée des Wittelsbach, avait épousé Anna de Habsbourg, nièce de Charles Quint, les deux familles étant liées par une alliance traditionnelle. À l’époque de l’arrivée de Lassus, le couple avait déjà cinq enfants. Leur père, fasciné par la splendeur des cours italiennes qu’il avait fréquentées dans sa jeunesse, était bien décidé à donner à la sienne un lustre comparable dans tous les domaines de la culture, arts, lettres et évidemment musique. L’arrivée de Lassus ne fut pas alors seulement celle d’un excellent chanteur, mais celle aussi – peut-être surtout – d’un compositeur déjà réputé, apte à répondre aux commandes d’œuvres liturgiques pour les services religieux et de circonstance pour les diverses célébrations.
Le premier recueil de Lieder composé par Lassus est dédié au jeune Guillaume. Ces Newe teütschen Liedlein seront suivis de deux autres, en 1572 et 1576, dédiés respectivement aux deux autres fils d’Albert, Ferdinand et Ernest. Les deux publications qui constituent l’essentiel de ce disque témoignent de ce même esprit d’amical respect. La première, Liber motettarum trium vocum est datée du 15 août 1575 et dédicacée (en vers) aux trois frères : « Vuilhelmo, Fernando, Ernesto, fratribus almi / Qui et trini referunt maxima dona Dei […] », ce qui peut signifier que ces « plus magnifiques dons de Dieu » leur permettraient de chanter en famille ces dix-huit motets à trois voix. Quant à la seconde, Novae aliquot… ad duas voces cantiones, publiée dans les mêmes conditions en 1577, Lassus l’a dédiée au seul Guillaume. Ce recueil est en effet divisé en deux parties égales, la première composée de douze duos vocaux, la seconde de douze pièces sans texte qui ne peuvent être comprises que comme des duos instrumentaux. Du reste, le caractère proprement instrumental de certains passages, comme de longues suites de croches en lignes brisées, ne fait aucun doute, préfigurant l’écriture instrumentale qui va être celle des premières sonates italiennes au début du xviie siècle.