À l’instar de Chopin, Debussy, fervent chopinien, laisse vingt-quatre Préludes pour piano réunis en deux livres. Si les préludes de Chopin représentent selon Harry Halbreich, « de saisissants raccourcis d’états d’âme, des instantanés psychologiques éclairant brusquement le subconscient surpris », ceux de Debussy sont au contraire des suggestions fugitives, des évocations rapides et chatoyantes. Le premier livre de Préludes a été composé en quelques semaines entre décembre 1909 et février 1910, et Debussy créa lui-même quatre d’entre eux dans le cadre de la SMI le 25 mai 1910, puis quatre autres préludes le 29 mars de l’année suivante. Ricardo Viñes en avait interprété trois le 14 janvier à la Société Nationale. Les douze préludes du second livre ont été conçus entre 1910 et 1912 à des dates imprécises : l’ordre dans lequel ils sont généralement présentés ne correspond pas à leur chronologie et Debussy n’avait prévu aucune organisation particulière pour leur publication. La Terrasse des audiences du clair de lune est ainsi le dernier prélude composé en décembre 1912.
Placés par Debussy à la fin de chaque prélude et non au début, les titres, certains empruntés à Baudelaire (Les Sons et les parfums tournent dans l’air du soir) ou à Leconte de Lisle (La Fille aux cheveux de lin qui n’est pas sans évoquer la douce Mélisande), ont contribué à éclairer l’univers imaginaire du compositeur. Un seul prélude fait référence à la technique pianistique : Les Tierces alternées comme une étude en forme de mouvement perpétuel. Quant aux Feux d’artifice, pleins d’étincelles, de fusées, de bouquets multicolores au milieu desquels se glissent quelques échos lointains de La Marseillaise, ils paraissent ressortir à la technique transcendante de Liszt.
Nombreux sont ses écrits qui manifestent à quel point Debussy était attentif à l’écoute de la nature. Il fait chatoyer le soleil sur Les Collines d’Anacapri, auquel répondent Des pas sur la neige sur un « fond de paysage triste et glacé », il fait mouvoir la mer sur le rythme « sans rigueur et caressant » de Voiles ou le doux scintillement d’Ondine, il fait frissonner le souffle discret du Vent dans la plaine ou les rafales d’ouragan dans Ce qu’a vu le vent d’Ouest, non pas au moyen d’une imitation mais par une transposition musicale qui dépasse le cadre de la musique à programme telle que l’entendaient ses prédécesseurs et certains contemporains. Cette transposition est parée d’une écriture particulièrement riche et audacieuse : gammes par ton, modulations hors tonalité, couleurs modales, cadences archaïsantes, frottements de secondes, brefs effets de bitonalité. Les Danseuses de Delphes. L’Espagne est présente aussi, dans La Sérénade interrompue où Debussy cite Albéniz, et dans La Puerta del Vino au rythme violent et passionné d’habanera, qui aurait été suggéré par une photo de l’Alhambra de Grenade. L’écriture est tantôt aérée, embrumée (Terrasse des audiences du clair de lune où passe l’air Au clair de la lune), tantôt grave et sereine (Canope), brillante et même transcendante (Feux d’artifice), délibérément archaïque parfois (Bruyères, La Cathédrale engloutie, d’après la vieille légende bretonne selon laquelle les ruines de la ville d’Ys submergée par les flots reparaissent à marée basse). Elle est enserrée dans de somptueux raffinements harmoniques et rythmiques, raffinements presque voluptueux des Sons et les parfums tournent dans l’air du soir, titre emprunté à un poème des Fleurs du mal de Baudelaire, Harmonie du soir, qui viennent suggérer les parfums de la nuit, raffinements légers comme les arpèges de Brouillards, lents et mélancoliques comme les arabesques de Feuilles mortes, pleins de transparence dans le délicat scherzo Les Fées sont d’exquises danseuses qui se conclut par une citation d’Obéron de Weber. Ailleurs, Debussy manie l’humour « capricieux et léger » (La Danse de Puck), nerveux et ironique (Minstrels et Hommage à S. Pickwick Esq. avec son rappel spirituel du God save the King), et évoque le jazz « dans le style et le mouvement d’un Cake-Walk » (Général Lavine – eccentric).
Placés par Debussy à la fin de chaque prélude et non au début, les titres, certains empruntés à Baudelaire (Les Sons et les parfums tournent dans l’air du soir) ou à Leconte de Lisle (La Fille aux cheveux de lin qui n’est pas sans évoquer la douce Mélisande), ont contribué à éclairer l’univers imaginaire du compositeur.