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À l’époque de Bach, texte et musique sont très intimement liés. Par une approche plutôt rationnelle, Bach essaiera de donner à la musique, notamment dans ses cantates, l’expressivité des mots. Mais la force narrative de la musique vocale et instrumentale du compositeur allemand n’est pas dénuée de fondements, et présente des points communs avec un domaine de l’antiquité classique, où l’éloquence du verbe occupe une place centrale : la rhétorique.

À cette époque, les orateurs cherchaient des moyens de conférer d’avantage de poids à leurs dires. Ce fut la naissance de la rhétorique, qui inculquait aux artistes à user de la plus grande conviction. Par le biais de diverses techniques, il était possible d’agencer son discours de telle manière à garantir une force de persuasion maximale. Un orateur qui rythmait son verbe de pauses, qui élevait la voix, qui usait de répétitions explicites et qui organisait son raisonnement dans une structure à l’intensité progressive, gagnerait plus aisément l’approbation de son public qu’un autre se contentant de lui servir un contenu monocorde.

Au XVIe siècle, des traités de l’antiquité classique seront redécouverts, où des figures telles que Cicéron et Aristote décrivent les ficelles de l’art oratoire et de la persuasion. L’intérêt pour l’association de cette pensée au processus de création musicale grandira au XVIIe siècle. Lors de l’apparition, au pré-baroque, de la monodie accompagnée, la musique se met entièrement au service de la sémantique du texte. Les techniques rhétoriques musicales accentueront le contenu du message. Parallèlement, à partir du XVIIe, la musique instrumentale connait une ascension fulgurante au sein du répertoire, et nous constaterons que les mêmes techniques rhétoriques apportent à la musique sa nécessaire force de conviction. Johann Mattheson, compositeur contemporain de Bach, indique explicitement dans son traité Der vollkommene Capellmeister (1739) qu’un discours rhétorique est également d’une importance capitale dans la musique purement instrumentale.

Un compositeur tel que Bach tentera de solliciter les affects de son auditeur en usant d’une série de moyens rhétoriques. À la période baroque, ces affects ne sont d’aucune façon associés à l’émotion personnelle du compositeur, à l’inverse de l’époque romantique, où l’approche devient une authentique piste de réflexion. S’il n’a pas été démontré que les techniques rhétoriques résident à la base du processus, nous pouvons constater avec assurance la présence de ces techniques dans la composition, qui ne manquent pas leur cible. Un rôle important est aussi réservé à l’interprète, qui doit détecter ces moyens dans la composition pour mieux en « activer » la force de persuasion, pour que la musique puisse véritablement « parler » à l’auditeur.