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Cet enregistrement est le résultat de multiples expériences et motivations. Il s’agit d’un triptyque musical où je place en dialogue le romantisme de Tchaïkovski, le tango de Piazzolla-Nisinman et le lusitanisme de Carrapatoso : trois cycles de « saisons », trois pays, trois langages et visions du monde de compositeurs qui ont abordé la thématique des saisons en trois siècles, le XIXe, le XXe et le XXIe siècle.

Les Saisons op. 37 bis de Tchaïkovski occupent une place très spéciale dans l’héritage du grand compositeur russe et sont rapidement devenues son œuvre pour piano soliste la plus populaire. Il s’agit de douze pièces, ou « cadres musicaux », relatives aux douze mois de l’année, qui reflètent des scènes de la Russie de la deuxième moitié du XIXème siècle. Elles furent commandées en 1875, alors que Tchaïkovski enseignait au Conservatoire de Moscou .

Le cycle commence avec une scène à l’intérieur de la maison, en hiver –Janvier, près de la Cheminée-, une idylle lyrique de bien-être familial. Février nous apporte un « cadre » vif et exubérant du Carnaval russe, la Maslenitsa, qui inspirera aussi Stravinski dans Petrouchka. En Mars, nous écoutons la belle mélodie ornementée du Chant de l’alouette. La pièce du mois d’Avril, Fleur de Printemps, est un dialogue entre deux voix, d’un lyrisme intime et ingénu. Mai évoque la beauté et l’excitation des Nuits blanches de Saint-Pétersbourg. La Barcarolle de Juin, une des pièces les plus populaires du cycle, est élégiaque et profondément inspirée, avec une partie centrale rythmiquement animée. En Juillet, nous avons le Chant du moissonneur : une pièce d’ « air libre », de grande vivacité et variété de couleurs. Dans le Scherzo (Récolte) d’Août, nous commençons à pressentir l’anxiété de la récolte du maïs avant l’arrivée des pluies de septembre, qui est suivi d’une partie intermédiaire lente, qui évoque peut-être le repos des moissonneurs pendant la chaleur de midi. En Septembre, La Chasse nous propose une pièce d’un grand dynamisme sonore, ponctuée de sonneries de trompes et de cavalcades. Le Chant d’automne, d’Octobre, est une des pièces les plus contrapuntiques du cycle, commençant avec une mélodie mélancolique qui se transforme en duo amoureux inspiré. Rachmaninov adorait jouer la pièce de Novembre, Dans la troïka (traîneau tiré par trois chevaux), une des plus populaires du cycle, et, simultanément, des plus riches et attirantes. Pour terminer, en Décembre, Tchaïkovski a choisi une festivité familiale qui célèbre la nativité, Noël, en composant une valse, sa danse préférée, qui achève le cycle avec élégance et vivacité.

Les Quatre Saisons de Buenos Aires sont devenues une œuvre emblématique de ce que l’on appelle le « nouveau tango ». Composées à l’origine par Piazzolla pour son quintette de bandonéon, violon, piano, guitare électrique et contrebasse, elles ne furent pas conçues comme une suite : l’Eté est un tango composé en 1965 pour la pièce Chevelure d’or, l’Automne date de 1969 et les deux autres saisons de 1970.

Marcelo Nisinman, qui dans sa jeunesse mérita les louanges et les encouragements de Piazzolla, a composé en 2013 une nouvelle version pianistique d’une grande virtuosité dont le premier enregistrement  figure dans le présent CD.

Ici, dans Buenos Aires, il n’y a pas de grands contrastes entre les Saisons, comme dans le cycle de Tchaïkovski. Le « temps », ou mieux, l’ambiance, est commun et se caractérise par une atmosphère dense, très chargée de sensualité. Il y a cependant de grands contrastes et des variations de tempérament dans chaque Saison de Buenos Aires. Des fortes pulsions rythmiques, des cadences d’une facture improvisée, des passages contrapuntiques, des harmonies complexes, il résulte des sentiments de tristesse, de sensualité, d’isolement, de tendresse et de passion – dans le fond, des éléments intrinsèques de l’essence du tango.

Eurico Carrapatoso a composé les Quatre Dernières Saisons de Lisbonne tout au long du cycle des quatre saisons de l’année, entre juin 2013 et juin 2014. Le charme naturel et historique de la capitale portugaise a servi d’inspiration primordiale à la composition : son Hiver est un clair de lune de Janvier qui brille sur le Tage ; le Printemps, une valse mélancolique de la Révolution des Œillets ; l’Eté, une marche rappelant la Nuit de Saint Antoine, patron de Lisbonne ; et l’Automne, un fado des Tagides, les nymphes du Tage. Carrapatoso se dit encore inspiré par les Quatre dernières Lieder de Richard Strauss, comme le dénote le choix du titre, mais le plus remarquable dans son cycle c’est son langage dépouillé et poétique avec lequel il parvient à l’essence de chaque saison lisboète.

Le poème qui sert d’épigraphe à ce texte a été écrit au XIIIe siècle par le maître zen bouddhiste Eihei Dogen. Dans sa simplicité apparente, mais expressive, avec laquelle il chante la beauté des saisons, Dogen nous relie à l’essence et à la beauté des éléments de la nature – comme la neige, la lune et les fleurs – qui réveillent un sentiment de communion expressive que je trouve aussi dans la musique de Tchaïkovski, Piazzolla-Nisinman et Carrapatoso. Dogen a donné le titre d’Esprit inné à son poème sur les saisons, un esprit de contemplation et de partage qui a inspiré cet enregistrement.