Mara_Soleils

Ce que l’on pressent sans le savoir, ce qu’on ne peut percevoir que dans l’obscurité, dans les reflets ou les lueurs dansantes, ce qui ne peut se dire autrement qu’en musique, ou n’apparaître qu’en rêve… voilà de quelle matière est constitué l’album Soleils de Nuit. Il ne s’agit pas d’un album pour les insomniaques, fait pour caresser et assoupir, mais plutôt d’une promenade nocturne, avec la qualité d’écoute particulière qu’elle induit, à la recherche d’éclairages « inouïs » ( ou jamais été entendu)… Un rêve les yeux grands ouverts.

Au côté des magnifiques nocturnes de Chopin, Grieg, Debussy ou Tchaikovsky, le disque propose de faire découvrir des compositions moins connues, comme les nocturnes de Lipatti ou de Britten, le Carillon nocturne d’Enesco, ainsi que des compositions de notre temps, de Strasnoy, Hersant ou Vieru. Le partage avec les compositeurs d’aujourd’hui et donc le choix d’inclure des compositions contemporaines était très important à mes yeux. J’ai ainsi pu collaborer avec Oscar Strasnoy – qui m’a dédié le cycle Piano4, dont est tiré la Berceuse qu’on entend sur ce disque et pour laquelle j’ai développé une profonde affection. Mon affinité avec la musique de Philippe Hersant fut immédiate. Sa musique me parle, je m’y sens “chez moi”.

Je suis heureuse de mettre en lumière le Nocturne en fa dièse mineur de Dinu Lipatti, mon mentor depuis toujours, immense pianiste dont les compositions sont inconnues du grand public. Ce Nocturne, écrit en 1939, est dédié à Clara Haskil, qui l’appréciait énormément et l’a joué à de nombreuses reprises lors de ses concerts. Cette pièce se devait de figurer dans un programme qui est une recherche de lumière dans l’obscurité. Je garde toujours à l’esprit les mots qu’il avait l’habitude de rappeler à ses élèves : “Cherche la lumière toujours plus haut chez les autres et au plus profond de toi-même.”

Je voulais absolument clore cette promenade nocturne et rêveuse avec une composition prodigieuse. C’est une œuvre posthume de G. Enesco, tirée des Pièces impromptues. On y entend les cloches des monastères du nord de la Roumanie. L’atmosphère est impalpable, solennelle, songeuse, emportée, et à la toute fin du morceau, j’imagine comme un geste d’adieu, esquissé de la main depuis le bord du monde.

Jeux d’ombres et de lumières
Depuis toujours j’ai été fascinée par la lumière – et donc aussi par son absence.
Enfant, je me souviens que j’aimais beaucoup fermer les yeux et sentir la lumière, chaude ou froide, à travers mes paupières closes.
Ce jeu pouvait durer des minutes entières.

Sous Ceausescu, je travaillais le piano à la lumière des bougies, car nous subissions de fréquentes coupures d’électricité inattendues, qui, pour l’enfant que j’étais, devenaient des moments de magies

A l’adolescence je me promenais dans les rues à la nuit tombée, et, la tête toujours vers les hauteurs, je regardais les lumières des appartements, des maisons, qui me racontaient des choses – intimes, drôles, inquiétantes parfois – à travers les grands yeux de leurs fenêtres. Vues de loin, les lumières des tours et des HLM pouvaient paraître des étoiles tombant du ciel.

Plus tard encore à Paris, j’ai eu la fascination de la nuit, de ce moment où la vie quotidienne se suspend, s’arrête. Le silence, la solitude, l’attente, la musique qui tourne dans la tête, les pensées obsédantes, les peurs, les doutes qui surgissent, le rêve dans le rêve… et puis les chants d’oiseaux, surtout vers 3 heures du matin.

Le programme proposé sur cet album a eu besoin de temps pour trouver sa forme définitive et se cristalliser. Le choix des nocturnes s’est fait progressivement et intuitivement. Il plonge dans mes souvenirs d’enfance, mais j’ai aussi été guidé par une attention extrême portée au cheminement d’une œuvre à l’autre, d’un éclairage à un autre. Les œuvres se répondent entre elles grâce aux enchainements des tonalités. Beaucoup, par exemple, sont en do dièse mineur. Une touche noire – est-ce la couleur de la nuit ?

Ces “Soleils de Nuit” sont la constellation dans laquelle j’évolue et où je voudrais emmener avec moi tous ceux qui aiment rêver… même en plein jour.