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Beaux airs qui sortant de ces lieux,
Remplis d’une douceur divine,
Portez nostre âme vers les cieux
D’où vous tirez vostre origine,
Que vos mélodieux accords
Produisent des effets estranges !
Mes sens vivent dedans mon corps
Et croyent estre avec les Anges.
Imprimés en tête des Hymnes de l’église pour toucher sur l’orgue (1623) de Jehan Titelouze, ces vers du poète rouennais Pierre Bardin (1595-1635) célèbrent l’un des plus grands musiciens du règne de
Louis XIII. On savait que Titelouze, considéré depuis longtemps comme le fondateur de l’école française d’orgue, avait laissé également de la musique vocale, présumée perdue. La récente découverte, par Laurent Guillo, de quatre messes polyphoniques composées par l’organiste fut un événement précieux, qui permet aujourd’hui d’apprécier dans toute sa diversité son génie contrapuntique. Seules messes polyphoniques rouennaises du xviie siècle qui nous soient parvenues, elles constituent un précieux maillon dans la connaissance de la vie musicale de la riche capitale normande et de sa cathédrale Notre-Dame, dont Titelouze tint l’orgue durant près d’un demi-siècle, de 1588 à 1633.

La maîtrise de la cathédrale de Rouen au début du xviie siècle
Durant les luttes religieuses qui ensanglantèrent la France de la seconde moitié du xvie siècle, Rouen fut un bastion catholique important, restant fidèle à la Ligue qui s’opposa farouchement aux protestants et aux efforts de réconciliation d’Henri III puis d’Henri IV. Dans ce contexte troublé, le cardinal Charles Ier de Bourbon, archevêque de Rouen de 1550 à 1590 et grand prince ligueur, favorisa le chapitre et la maîtrise de la cathédrale. En 1578, il voulut augmenter le nombre d’enfants de chœur de 8 à 12. Celui-ci ne put passer qu’à 10 en 1587, avant de revenir rapidement à 8, qu’on réduisit même temporairement à 6 en 1592 en raison du siège de la ville par les troupes royales. Nommé en 1590, le nouvel archevêque, Charles II de Bourbon, qui avait osé reconnaître Henri IV, protestant converti, comme souverain légitime, ne fut lui-même reconnu par le chapitre qu’après la levée du siège, en mai 1592. Le retour au calme vit revenir la prospérité de la ville et du chapitre de la cathédrale, qui se confirma sous les épiscopats de Charles III de Bourbon (sed. 1594-1604), demi-frère d’Henri IV à qui il resta toujours fidèle, de François I de Joyeuse (sed. 1605-1615), lui aussi dévoué au roi, puis de l’érudit François II de Harlay (sed. 1615-1651). Le chapitre et la maîtrise retrouvèrent alors leur lustre et leur réputation, comptant dans leurs rangs des chanoines éclairés, auteurs d’ouvrages de théologie, d’érudition ou d’histoire normande, et s’attachant des musiciens de valeur, dont plusieurs terminèrent leur carrière à Notre-Dame de Paris (Henry Frémart) ou à la Chapelle royale (Nicolas Morel, Eustache Picot). Les listes d’ouvrages de musique achetés par le chapitre dans la première moitié du xviie siècle montrent que l’on chantait à Rouen les grands maîtres français ou européens de la fin de la Renaissance (Guerrero, Lassus, Du Caurroy, Le Jeune), mais aussi le riche répertoire contemporain des grandes maîtrises du royaume publié à Paris par Ballard, « imprimeur du roi pour la musique ». Rouen redevint également le centre organistique le plus important du royaume. La richesse de la
cathédrale et des paroisses permit la construction d’instruments magnifiques, par les meilleurs facteurs d’orgue de Normandie ou du nord de la France, attirant des organistes de renom, dont le plus célèbre fut incontestablement Jehan Titelouze.