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Célébrer la nuit, s’en approcher pour mieux la rêver, jouer des partitions allemandes et françaises, quêter l’inattendu… Tout cela compose le voyage sous les étoiles auquel nous convie Alice Ferrière. Elle nous propose quelques clés d’écoute.

Comment est né votre programme ? Et, tout d’abord, pourquoi avoir associé lieder allemands et mélodies françaises ?

Au début, j’avais imaginé un premier album composé uniquement de mélodies allemandes (lieder). J’ai découvert cette langue à l’âge de onze ans et celle-ci m’a été tout de suite “naturelle”. Je veux dire que j’ai ressenti une proximité affective avec elle. Elle me parle, si je puis dire, aussi bien au travers des notes de musique que des mots de sa littérature, de sa poésie. J’ai étudié à Vienne, passé mon premier concours de chant à Berlin sous l’égide de Thomas Quasthoff, dont j’ai obtenu de précieux conseils. L’équilibre entre les deux cultures musicales, allemande et française, s’est réalisé autour du thème de la nuit. Un thème central dans l’histoire du romantisme.

Nous avons évoqué l’univers germanique. Parlons tout d’abord des impressions de cette “Nacht”…

Dans la pensée allemande, la nuit est entourée de mystères. C’est le moment où tout est possible, où l’âme s’ouvre et le rêve prend vie. Nous sommes au cœur de l’émotion, dans la solitude qui mène jusqu’au Requiem, la pièce qui clôt l’opus 90 de Schumann. C’est le premier grand cycle autour duquel s’organise ce récital. La force de l’écriture schumanienne est fantastique. Elle fonctionne par ruptures et brisures, que l’interprète doit éprouver. On y fait parler les silences. Toutes les expressions se révèlent : recueillement et solitude, rêve éveillé, douleur, passion et révolte. La nuit s’étire vers d’autres thématiques comme l’enfance, la forêt, l’amour, la mort, qui sont autant de sujets essentiels au sein de l’oeuvre de Schumann. Ses lieder, sa musique de chambre, ses pièces pour le piano se chargent de pressentiments inexpliqués et les humeurs changeantes sollicitent l’interprète en permanence, physiquement, même parfois douloureusement.

Ressentez-vous cet opus comme un cycle à proprement parler ?

Je ne le crois pas car il ne possède pas cette logique narrative évidente que l’on retrouve, par exemple, dans L’Amour et la vie d’une femme. Il s’agit d’une succession d’impressions que j’ai encadrées avec deux lieder en miroir, de Richard Strauss : Die Nacht puis Allerseelen.

Nous changeons d’atmosphère pour ne pas dire de culture avec l’autre grande partition, cette fois-ci, française : Les Nuits d’été de Berlioz…

Interpréter Berlioz représente un grand défi qui se mesure avec le temps, c’est-à-dire avec l’évolution de la voix. Je me suis approchée de cet univers musical dans un second temps. Berlioz est l’un des fondateurs de la mélodie française, qui est tout aussi proche de la Nature que le lied allemand. Mais, tout comme chez Reynaldo Hahn, cette écriture paraît plus simple, ce qui la rend d’autant plus difficile à interpréter !En effet, la musique française est portée par une fraîcheur de tous les instants. Elle doit jaillir évidente, naturelle, comme une partition de Mozart. Revenir sans cesse aux Nuits d’été implique non seulement d’en préserver toujours la fraîcheur, mais aussi d’en approfondir le raffinement sonore.

Voyez-vous une forme de séduction spécifique à la mélodie française ?

La Nuit exquise séduit parce qu’elle suggère le dialogue. Il est d’ailleurs essentiel avec le pianiste qui n’est pas un accompagnateur, mais un partenaire.

L’assimilation de la langue française est totalement différente de la langue allemande. La voix doit changer. Elle se tisse avec davantage de velours et, paradoxalement de diction incisive. On joue ici d’une extrême précision au service d’une fragilité sensible. C’est ce que j’ai appris, notamment au contact de Sophie Koch. Certains compositeurs ont eu une importance majeure dans cet art. Je pense à Debussy dont la précision et la finesse de l’écriture sont portées par un texte aussi sensuel. L’interprète ne devrait pas trop se poser de questions et oublier tout ce qu’il a mis tant de temps à apprendre…

Parlez-nous des deux pièces rarement entendues de deux compositrices, Nadia Boulanger et Irène Poldowski…

Irène Poldowski est le pseudonyme de la pianiste et compositrice Régine Wieniawski, fille du compositeur Henryk Wieniawski. Elle fut une personnalité flamboyante, devint Lady Dean Paul et ouvrit même une boutique de haute couture ! Sa musique est profondément influencée par celle de Debussy et c’est la raison pour laquelle j’ai tenu à la faire suivre par le célèbre Clair de lune du musicien français.

Par ailleurs, on évoque souvent le nom de Lili Boulanger, sœur de Nadia, célèbre chef de chœur et d’orchestre, incomparable pédagogue. Elle n’eut de cesse de rendre hommage au talent de sa jeune sœur, disparue à l’âge de 25 ans. Nadia a certainement sacrifié une partie de sa notoriété au profit de Lili. J’ai découvert avec ravissement la mélodie Le Ciel en nuit s’est déplié, d’un charme à l’état pur.

Propos recueillis par Stéphane Friédérich

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