Les concertos pour orgue de Haendel & les Pièces de clavecin en concert de Rameau figurent parmi les œuvres les plus originales du répertoire pour clavier du XVIIIème siècle.
Haendel, grand voyageur, a touché de grands instruments et notamment le célèbre orgue de St-Bavo de Haarlem, construit par Christian Müller en 1735-1738, dont le buffet somptueux sculpté par Jan Van Logteren comporte deux tourelles en 32 pieds ouverts. Haendel fit deux voyages à Haarlem : une première fois en 1740 et une seconde fois en 1750, toujours dans le but de jouer l’orgue Müller. Cet orgue était incontournable au XVIIIème siècle tout comme l’orgue Dom Bedos de Ste-Croix de Bordeaux. Bien que d’esthétiques opposées, ces instruments partagent un point commun : la monumentalité.
L’orgue Dom Bedos est l’un des rares instruments en France au XVIIIème siècle doté d’un jeu de 32 pieds au manuel, qui confère au grand plein-jeu une profondeur incroyable.
Ainsi, dans la plupart des mouvements lents et solennels comme le larghetto de l’opus 4 n°1 (HWV 289), l’Andante de l’opus 4 n°4 ou encore l’Adagio de l’opus 7 n°4 (HWV 309), la réalisation des chiffrages d’harmonie renforce la texture de la musique. Dans le concerto en ré mineur HWV 309, nous avons préféré remplacer le mouvement rapide en ré majeur – moins adapté à l’esthétique du Dom Bedos – par un mouvement entièrement improvisé sur le grand plein jeu en 32 pieds, qui reprend quelques éléments d’une version à deux orgues de ce concerto, malheureusement disparue.
Cette plénitude se retrouve également dans une improvisation sur le grand fond d’orgue, en prélude au Concerto en Fa Majeur, opus 4 n° 4, comme le faisait Haendel en son temps. Sa musique est celle d’un homme curieux et ouvert, qui ne cessera de mélanger les goûts et les styles de chaque culture. Ses concertos pour orgue et orchestre seront d’ailleurs diffusés en France par Michel Corrette et peut-être donnés au Concert Spirituel. L’orgue Dom Bedos de Ste-Croix s’est donc révélé l’instrument idéal pour enregistrer ces concertos de Haendel. Ses couleurs à la fois profondes, majestueuses, éclatantes, cuivrées mais aussi suaves, et claires s’accordent merveilleusement avec le langage de l’auteur du Messie.
L’absence de composition de Rameau pour l’orgue constitue un grand vide et une grande frustration pour les clavecinistes-organistes de notre époque. Car on le sait, tout comme Haendel, Rameau était brillant claveciniste et tout aussi brillant organiste. Dans ses Mémoires, Jean-François Marmontel (1723-1799), encyclopédiste ami de Voltaire et Rousseau, parle de ses séjours à Passy chez Monsieur Alexandre Le Riche de la Pouplinière (1693-1762), mécène et protecteur de Rameau.
En mars 1741 à Paris, le Mercure de France annonce la publication des « Pièces de clavecin en concerts, avec un violon ou une flûte, et une viole ou un deuxième violon » de Jean-Philippe Rameau. L’ouvrage réunit les pièces en cinq groupes nommés concerts. Cette publication mérite une attention particulière. C’est en effet la seule œuvre que ce génie de l’opéra et grand théoricien de la musique nous ait laissée pour la musique de chambre.
Certaines pièces de clavecin en concert nous ont semblé trouver un écho dans l’univers de l’orgue des Lumières et convenir parfaitement à une exécution sur l’orgue. Rameau lui même, tout comme Haendel, est un adepte de la réécriture et réemploie souvent une idée musicale sous plusieurs formes.
Ainsi, La Cupis se métamorphose naturellement en forme de Trio d’orgue, La Poplinière en Duo de trompette de récit et de grosse tierce, La Forqueray en fugue sur les anches, La Timide en fond d’orgue, récit de nazard … etc. Vous ne trouverez pas ici d’alternance entre l’instrument soliste et l’orchestre où l’un répond à l’autre, mais un véritable mélange des instruments, une sorte de symphonie mêlée, à la française, où le discours musical se promène au sein des instruments de l’orchestre.